Il va neiger dans quelques jours...

Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens

de l’an dernier. Je me souviens de mes tristesses

au coin du feu. Si l’on m’avait demandé : qu’est-ce?

J’aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n’est rien.

 

J’ai bien réfléchi, l’année avant, dans ma chambre,

pendant que la neige lourde tombait dehors.

J’ai réfléchi pour rien. À présent comme alors

je fume une pipe en bois avec un bout d’ambre.

 

Ma vieille commode en chêne sent toujours bon.

Mais moi j’étais bête parce que ces choses

ne pouvaient pas changer et que c’est une pose

de vouloir chasser les choses que nous savons.

 

Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous? C’est drôle;

nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas

et cependant nous les comprenons, et les pas

d’un ami sont plus doux que de douces paroles.

 

On a baptisé les étoiles sans penser

qu’elles n’avaient pas besoin de nom, et les nombres

qui prouvent que les belles comètes dans l’ombre

passeront, ne les forceront pas à passer.

 

Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses

de l’an dernier? À peine si je m’en souviens.

Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n’est rien,

si dans ma chambre on venait me demander : qu’est-ce?

Référence bibliographique

Jammes, Francis, « Il va neiger dans quelques jours… », De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir, Paris, Mercure de France, 1898.

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